Le Ventoux, géant de Provence qui domine la plaine, un point de mire, un repère dans le paysage, c’est ce sommet que les éleveurs vauclusiens ont choisi d’allumer ce vendredi soir à l’appel de l’USAPR, Union pour la Sauvegarde des Activités Pastorales et Rurales, qui invitait à « éclairer les sommets avec des feux ou des phares pour afficher la détresse des territoires soumis à la prédation des loups ou susceptibles de le devenir. »
Au sommet, le grand projecteur balaye la plaine pour l’illuminer alors que le thermomètre chute à la tombée de la nuit. Les éleveurs racontent. Leur loup n’est pas celui des contes, il n’est pas celui « des écolos qui vivent à la ville et se font des fausses idées », ils invitent à raisonner sans passion, eux qui en ont tant de passion dans leurs mots, dans leurs échanges.
Au quotidien ils vivent la pression, « une pression ni monnayable ni quantifiable » qu’un éleveur explique. « Vous savez ce que c’est que de se réveiller à chaque fois qu’un chien aboie ? Ce que c’est que de ne pas savoir si le loup est passé pendant que vous avez tourné le dos 15 minutes ? Il faut le vivre ça ! » Ils dénoncent un loup qui se rapproche des habitations, un loup qui n’a plus peur de l’homme, un loup rusé qui sait quand l’homme est armé et quand il ne l’est pas. Ils voudraient inverser la peur. « Donnez-nous les moyens pour que cet animal reste sauvage. Il faut que le loup prenne conscience que s’approcher de nos brebis c’est dangereux » indique Emilien Bonnet. En gros, ils voudraient avoir le droit de tirer sur le loup sans autorisation.
Le nombre de loups tués en France frôle la centaine, et pour les éleveurs, ce n’est pas suffisant. Ils parlent à mots couverts du braconnage qui « a permis de maintenir les populations de loups à ce niveau là dans le Vaucluse », ils parlent aussi de la difficulté de se projeter dans l’avenir sur un territoire qui doit se partager entre l’urbanisation, le pastoralisme et les loisirs. Pour eux, le loup n’a pas sa place. Les services de l’État indiquent la présence de quatre meutes et 15 adultes avec des petits et des naissances dans le Luberon.
Michel Archange, a la double casquette, celle de maire de Saint-Trinit et celle l’éleveur. Son troupeau se niche dans le village, il n’a pas encore besoin de chiens de protection, il s’en sort entre la vente directe et la possibilité de sa situation qui lui permet la polyculture. Cette nuit il parle pour les autres et pour défendre un métier qu’ils jugent en voie de perdition. « Nous sommes en marge de la société, une minorité. Les gens ne savent pas ce que c’est d’élever des bêtes. Les indemnités ne nous aident pas, les gens pensent que ce n’est pas grave que le loup tue des brebis parce que nous seront indemnisés ; il faut quand même savoir que nous avons une vie à la con. Le soir de Noël nous sommes avec les bêtes plutôt qu’autour du sapin en famille. C’est la passion, nous aimons ça mais aujourd’hui nous avons juste l’impression de passer après le loup. »
Emilien Bonnet conclu « ce soir nous voulons signifier que nous existons encore, et que peut-être dans 10 ans nous ne serons plus là. », un feu de détresse dans la nuit de ce vendredi 13 septembre, un feu qui s’est éteint à 22 h, « il est l’heure de rentrer, demain nous bossons » soulignent les éleveurs en remballant le matériel avec, peu d’illusion mais tout de même le petit espoir, d’avoir éveillé les consciences des habitants qui éclairent de leurs lumières la plaine qui s’étend au pied du Ventoux.